L’Entreprise publique économique (EPE/SPA) et le Code des marchés publics version 2013

                L’EPE/SPA et le Code des marches publics ‘version’ 2013

 

                                                           / Hamid HAMIDI (*)  

 A lire l’article 2 du code des marchés publics modifié et complété (CMP nouveau texte, Décret présidentiel n°13-03 du 13 janvier 2013), il semblerait que la question de l’opposabilité des dispositions de la réglementation des marchés publics (RMP) aux entreprises publiques économiques organisées en la forme de société par actions (EPE/SPA) est toujours d’actualité. En tout cas, la question mérite d’être sérieusement débattue pour la raison essentielle que le dispositif de l’article 2 nouveau texte entretient (encore) la confusion entre les différents types d’acteurs économiques étatiques et non étatiques par rapport à la Réglementation des marchés publics, et on pourrait facilement deviner la frustration des managers et/ou gestionnaires de l’EPE/SPA qui ne sauront toujours pas, à la lecture du nouveau texte, si l’intérêt social de l’entreprise qu’ils ont l’honneur de diriger leur permettra finalement de passer des contrats d’achat en toute liberté et transparence et suivant la procédure de gré à gré sans voir leur responsabilité pénale engagée pour non respect de la RMP ou pour conclusion de marchés contraires aux dispositions du CMP. Dans ce contexte, deux points interdépendants en dernier lieu méritent d’être rappelés ici : le premier point, on l’aura vite deviner, concerne ‘’l’inintelligibilité’’  du Code des marchés publics (CMP) en vigueur en ce qui concerne notamment la confusion qu’il entretient à propos de la définition des acteurs participant au marché public compte tenu de la nature juridique pourtant claire de ce contrat écrit. A ce sujet, la question est de savoir pourquoi la production législative, très dense, en matière de réglementation des marchés publics (RMP) est aussi étriquée et à chaque fois non adaptée aux changements induits par les réformes économiques et celles de l’Etat en général et les réformes de l’entreprise publique économique en particulier. Le deuxième point tentera ensuite d’examiner le positionnement qu’a voulu imprimer l’article 2 modifié et complété à l’EPE/SPA par rapport à la RMP.  En effet, si l’entreprise semble enfin retrouver la liberté de contracter, le texte lui fait obligation d’adopter un Guide des procédures des contrats et marchés qui tienne compte de ses spécificités, tout en lui rappelant qu’elle demeure soumise aux contrôles externes exercés par l’Inspection générale des finances et par la Cour des comptes. Que doit en penser le dirigeant de l’EPE/SPA ?

1.- Inintelligibilité Versus complexité de la Réglementation des marchés publics :     

1.1.- On a rarement vu un texte juridique relevant du droit économique et/ou du droit public des affaires, évoluer aussi rapidement que le Code des marchés publics (CMP). Le processus normatif en matière de réglementation des marchés publics a été sans doute rendu facile par le fait que les marchés publics sont une matière qui ne relève pas du domaine de la loi, ils sont au contraire une matière technique d’origine réglementaire relevant du pouvoir réglementaire du Président de la République en application des articles 122 et 125 de la Constitution de 1996. Hormis le fait que tout droit est forcément un droit de finalité, le droit des marchés publics présente de ce fait la particularité d’être un instrument d’action aux mains de l’Exécutif tendant à permettre à l’administration (économique) et à l’Etat par Personnes morales de droit  public interposées, de pouvoir s’impliquer dans la sphère de l’économie et dans le monde des affaires. Mais ce qui complique davantage encore le texte, ce sont les interventions répétées des pouvoirs publics  successivement en 2002, 2003, 2008, 2010, 2011, 2012 et 2013 dans leur quête de vouloir à tout prix contrôler l’usage des deniers publics, ce qui est légitime, ou encore d’assurer la légalité et la transparence en matière d’exécution de la dépense publique en renforçant à chaque fois le dispositif  de contrôle interne et externe des marchés publics. A l’initiative du Président de la République, le Code des marchés publics (D.P. n° 10-236 du 7 octobre 2010 en vigueur)  a été modifié et complété par le décret présidentiel n°11-98 du 1er mars 2011, par le décret présidentiel n° 11-222 du 16 juin 2011, par le décret présidentiel n°12-23 du 18 janvier 2012 et enfin par le décret présidentiel n°13-03 du 13 janvier 2013 (Jora n° 02, 13/01/2013).     

1.2.- Ces amendements ont été introduits sans concertation, d’abord pour redéfinir les acteurs (dont les EPE/SPA) participant au marché public ainsi que les seuils et les modalités de passation des marchés publics, ensuite pour faire admettre le principe de l’arbitrabilité des marchés publics conclus avec les sociétés étrangères, enfin pour intégrer les règles de bonne gouvernance ainsi que les questions de déontologie en obligeant par exemple le partenaire cocontractant de souscrire la déclaration de probité. Ces amendements pour la plupart sont perçus comme de nouvelles exigences pour encadrer le comportement de l’agent public dans le cadre de la problématique de lutte contre la corruption. Il est à remarquer que dans la RMP, si les règles de transparence et de mise en jeu de la responsabilité juridique (particulièrement la responsabilité pénale), en dehors de la reddition des comptes, ont été mises en exergue, c’est beaucoup plus au titre de la prévention contre la corruption (alors même que la loi 06-01 du 02/02/2006 relative à la prévention et à la lutte contre la  corruption est en vigueur), que pour assurer le Service contractant contre les risques de contentieux, ou pour garantir une meilleure qualité juridique des contrats qu’il sera amené à conclure notamment avec les sociétés étrangères.  Il résulte que les dispositions du CMP, par rapport à l’évolution de la pratique contractuelle, deviennent de plus en plus difficilement lisibles et donc difficilement applicables à cause d’une sorte de politisation du texte. Il nous paraît très clairement en effet que la volonté affirmée des pouvoirs publics de lever le monopole de l’Etat sur la justice (l’arbitrabilité des marchés publics) ou de lutter contre la fraude et la corruption, relève beaucoup plus du politique que du simple technique. En tout cas, l’inintelligibilité, voire même l’obscurité de la Réglementation des marchés publics s’aggrave dangereusement par le fait que des aménagements au texte y sont introduits au moyen de simples instructions émanant du Premier ministre passant outre le principe du parallélisme des formes. Nous pouvons citer l’instruction du Premier ministre datant du 21 Décembre 2009 obligeant le partenaire cocontractant à signer une déclaration de probité morale avant de soumissionner,   ou encore l’instruction du Premier ministre n° 08 datant du 05 Janvier 2011 qui vient remettre en cause le dispositif de l’article 24 du CMP de 2010, reprenant les dispositions de l’article 55 de la loi de finances complémentaire pour 2010, imposant au soumissionnaire étranger l’obligation d’investir, dans le cadre d’un partenariat, dans le même domaine d’activité, avec une entreprise de droit algérien, dont le capital est détenu majoritairement par des nationaux résidents.     

1.3.- Le CMP ne viendrait-il pas ainsi combler le manque flagrant de crédibilité des institutions de contrôle de l’Etat ?  Et avec la multitude d’acteurs économiques non étatiques dont les EPE/SPA qu’il voudrait intégrer, le CMP ne manifeste t-il pas finalement la défaillance des institutions de la République à lutter contre la fraude et la corruption ?

2.- Les liens de rattachement de l’EPE/SPA au Code des marchés publics :     

2.1.- A ce propos, les amendements successifs rappelés plus haut ont tenté vainement de trouver à chaque fois la bonne formule tendant à régler la question de l’alignement -nécessaire semble t-il-, de l’entreprise publique économique (EPE) sur le Code des marchés publics,  alors même que la loi la définie expressément comme étant une personne morale de droit privé érigée en la forme de société commerciale de type Sociétés de capitaux (SPA), donc régie strictement par le droit commercial et le droit des affaires. Soyons très clair à ce propos, dans le cadre de ses transactions commerciales, il n’est pas question pour EPE/ SPA tout autant que pour l’acteur économique privé, de s’aligner sur le Code des marchés publics. De même que dans la recherche du profit, l’EPE n’a pas à respecter des clauses inégalitaires qui la placeraient sous le contrôle d’une personne publique dans le cadre de l’application d’un droit de commandement, le droit administratif économique. Le Code des marchés publics est perçu plutôt comme un document administratif qui ne s’applique de plein droit qu’aux personnes juridiques (publiques ou privées) représentants ou sous contrôle de l’administration. Ainsi, l’EPE serait tenue par le respect des conditions et procédures prévues dans la RMP, si elle est investie d’une mission de service public par délégation, ou si l’activité qu’elle entreprend vise la réalisation de l’intérêt général économique et nécessite de ce fait un financement de la dépense par le trésor public. Ainsi, en dehors de ces deux cas de figure, celui de l’EPE/SPA opérateur économique privé qui soumissionne à un marché public, ou celui  de l’opérateur économique privé titulaire d’un marché public, l’EPE n’est pas soumise aux dispositions du Code des marchés publics.  L’EPE doit garantir ses intérêts en sa qualité de société commerciale en réalisant des profits. N’oublions pas enfin et au risque de nous répéter que c’est l’exécution de la dépense publique qui donne obligatoirement lieu à la conclusion de marchés publics (entre le Service contractant-personne publique et l’opérateur économique privé). Ainsi, en généralisant l’application de la RMP aux  EPE/SPA, il y a manifestement violation par l’Etat de sa propre légalité.     

2.2.- Il est intéressant de se poser la question de savoir pourquoi l’EPE/SPA figure t-elle, malgré tout, parmi les acteurs participant au marché public ?

Rappelons que l’EPE figure parmi les acteurs économiques, dont également les Autorités de régulation ou Autorités administratives indépendantes, qui ont émergé avec les réformes économiques en général et l’expérimentation de la décentralisation économique, technique et fonctionnelle en particulier. Par le transfert des pouvoirs économiques et juridiques qu’elle a reçu de l’Etat, l’EPE est alors un acteur économique non étatique par opposition aux acteurs économiques étatiques. Il faut préciser que l’émergence de l’EPE/SPA a été le fruit de l’éclatement entre la propriété du capital étatique et sa gestion et avait pour but de créer un nouveau secteur privé économique en Algérie. Bref, l’EPE est un acteur économique (privé) qui se trouve dans le secteur privé, qui a en charge de gérer et/ou de fructifier le secteur économique public, le capital étatique et public, dans un cadre concurrentiel et dans un souci de rentabilité. L’EPE/SPA, dont l’activité qu’elle gère n’est pas un service public en vue d’un intérêt public, ne sera donc pas définie comme une personne publique (à ne pas confondre avec entreprise publique économique ou l’emploi du mot ‘’publique’’ ici ne sert qu’à désigner que le capital de la société est détenu majoritairement par l’Etat ou tout autre personne morale de droit public). N’oublions pas de rappeler que les rédacteurs du Code des marchés publics (ancien texte de 2002, D.P. n° 02-250 du 24/07/2002) ont bien saisi que l’EPE est définie légalement comme étant un personne morale de droit privé, c’est d’ailleurs pourquoi ils l’avaient exclut expressément du champ d’application  du Code des marchés publics.     

2.3.- Pourquoi assiste t-on à un revirement dans la position des rédacteurs du Code des marchés publics faisant en sorte que la RMP devient opposable aux responsables de l’EPE/SPA. Les amendements apportés à l’article 2 du CMP ont été fructueux mais négativement puisqu’il a d’abord été rappelé que les EPE sont tenues d’adopter la RMP en application des dispositions du Code des marchés publics, nouveau texte de 2010 (D.P n° 10-236 du 7 octobre 2010), l’article 2 modifié et complété (D.P n° 12-23 du 18 janvier 2012) rappelle, pour sa part, que les EPE sont tenus simplement « d’adapter leurs propres procédures à la réglementation des marchés publics», tandis que l’article 2 nouvellement modifié et complété (D.P n°13-03 du 13 janvier 2013) énonce magistralement que «(…) Les entreprises publiques économiques ne sont pas soumises au dispositif de passation des marchés prévu par le présent décret ». Toutefois, ajoute le texte, « elles sont tenues d’élaborer et de faire adopter, par leurs organes sociaux, des procédures de passation de marchés, selon leurs spécificités, (….)». En obligeant les EPE/SPA d’adopter malgré tout «des procédures de passation de marchés selon leurs spécificités », les rédacteurs du CMP nouveau texte semble poser la problématique de l’Etat actionnaire. Le positionnement de l’Etat actionnaire, conséquence de l’évolution du rôle de l’Etat dans l’économie, n’est pas toujours bien compris. En effet, l’Etat actionnaire est présenté abusivement comme le prolongement de l’Etat propriétaire et gestionnaire d’une période pourtant maintenant révolue.

Pour beaucoup de dirigeants en effet, l’EPE est concernée par le dispositif de passation des marchés publics dés lors que son capital social est détenu majoritairement ou exclusivement par l’Etat.  Pour eux, et au risque de me tromper, le fait que l’Etat soit actionnaire unique ou majoritaire exclut automatiquement, ou ne donne pas lieu à l’application des règles de management. Le fait qu’ils apprennent que l’Etat n’est plus le propriétaire exclusif du capital social de l’EPE, mais c’est les SGP (SPA) qui détiennent désormais en toute propriété le portefeuille d’actions ne change rien à l’affaire. Le fait de reconnaitre qu’au plan juridique, les actionnaires de l’EPE/SPA (y compris le cas de l’Etat actionnaire unique) sont propriétaires d’actions, et à ce titre, ils ont seulement des droits sur la SPA, une telle réalité ne leur accorde pas plus de liberté d’action ou ne les affranchie pas du système tutélaire. Certains autres dirigeants de SPA pure et dure vont jusqu’à s’interroger s’ils ne sont pas tenus d’adopter la RMP dans le cadre de leurs transactions commerciales pour la simple raison que des EPE/SPA détiennent la majorité du capital social de leur société. On aura donc fait des réformes de l’entreprise publique pratiquement pour rien. Il est temps de reconnaitre que ces anomalies sont concédées par le Code des marchés publics, lequel ne distingue pas les personnes publiques soumises à la RMP, des personnes privées (dont les EPE) qui ne sont pas soumises à la RMP. Ce manquement conforte l’anarchie dans la gestion des contrats et marchés conclus d’un côté  par les acteurs étatiques, l’administration économique et autre établissement public industriel et commercial (EPIC) et, de l’autre, les acteurs économiques non étatiques dont les EPE/SPA. Un tel déficit juridique peut trouver une explication dans le fait que le regard de l’Etat à l’égard de ses intermédiaires dans la sphère de l’économie ne cadre pas avec la stratégie de sortie de l’économie rentière, ni avec celle qui puisse enfin permettre à l’entreprise publique économique organisée en la forme de société commerciale de se substituer à l’Etat dans la réalisation de l’accumulation, tout en renouant avec la performance et la compétitivité.     

2.4.- Il reste maintenant à savoir quelle pourrait être la réaction ou le positionnement des managers et gestionnaires de l’EPE/SPA par rapport à la lecture du nouveau texte des marchés publics. Serait-il légitime de leur part de continuer d’invoquer le risque de mise en œuvre de leur responsabilité pénale pour non respect de la RMP ou pour conclusion de marchés contraires aux dispositions du CMP pour justifier l’attitude contraire à l’intérêt social de l’entreprise par la soumission à la RMP. L’article 2 du CMP nouveau texte (2013) semble suggérer clairement l’idée par ailleurs tout à fait juste que la soumission des EPE/SPA à la réglementation des marchés publics est problématique pour la bonne gestion et le management de l’entreprise et s’oppose à l’intérêt social de la société. Si cette nouvelle vision des choses est désormais acquise et si le dispositif de passation des marchés prévu par le CMP n’est plus applicable aux EPE/SPA, il n’en demeure pas moins vrai que le texte oblige leur Conseil d’administration d’adopter un Guide des procédures des contrats et marchés qui tienne compte des spécificités de l’entreprise. Le dirigeant de l’EPE pourra t-il adhérer à cette vision sans craindre pour autant de se retrouver en état de délit d’entrave à la législation sur les marchés publics. Il faut reconnaitre que l’article 2 du CMP n’est pas du tout clair, il est même contradictoire. On ne sait pas si l’exigence d’élaborer et d’adopter « des procédures de passation de marchés, selon leurs spécificités» est une façon d’inviter les cadres dirigeants à faire preuve de souplesse dans les procédures de passation de contrats (ou de marchés ??) pour mieux saisir les opportunités dans le but de répondre au seul objectif de la société : la réalisation des profits au sens capitaliste du terme. Ou bien, faudrait-il comprendre qu’il est impératif pour l’EPE d’élaborer un Guide des marchés qui lui soit propre, mais lequel Guide devra rappeler les diligences minimales en matière de procédures pourvues qu’elles soient plutôt adaptées à la réglementation des marchés publics. Manifestement, il y a un problème de méthode de gouvernance dans l’élaboration du Code des marchés publics.     

2.5.- En guise de conclusion : Disons qu’il n’y a pas pire situation pour l’EPE – laquelle ne l’oublions pas est une société de capitaux (SPA) soumise aux critères de la rentabilité commerciale-, que de tomber dans les travers du juridisme manifestement préjudiciable à l’intérêt social de l’entreprise. Le CMP nouvelle version prône la résurgence du principe de liberté contractuelle et du concept d’autonomie de la volonté en matière de conclusion de contrats, mais continue à faire figurer (indirectement) l’EPE parmi les acteurs participant au marché public au détriment du développement de la fonction managériale. Il faut bien le noter, ses dirigeants seront redevables du respect d’un Guide des procédures de passation de marchés notamment à l’occasion des contrôles externes exercés par les Commissaires aux comptes, doublés (curieusement) par l’Inspection générale des finances et potentiellement par la Cour des comptes. De la sorte, le droit à l’information exacte, précise et sincère des actionnaires dont l’Etat sera t-il pour autant respecté ?                                                                                        

                                       (*) Hamid HAMIDI Professeur à la Faculté de droit,                                                                                                Université Badji Mokhtar, Annaba