La Cour constitutionnelle.

   Problématique de l’indépendance du juge constitutionnel algérien. Approche critique de l’amendement constitutionnel de 2020 _____________________________________________________________________

                                                                                    / HAMID HAMIDI *                                                                                    Annaba (Algérie).

Abstract  (الملخص) :       

      L’amendement constitutionnel de 2020 reconnait formellement le statut indépendant de la Cour constitutionnelle par rapport aux autres pouvoirs constitutionnels. Elle est une institution nouvellement créée, chargée d’assurer le respect de la loi fondamentale et sa suprématie, en exerçant le contrôle a priori de l’action des pouvoirs publics, et le contrôle a postériori en exception d’inconstitutionnalité pour la défense des droits et des libertés constitutionnels du citoyen. C’est à ce titre qu’elle se démarque des autres pouvoirs constitutionnels pour mieux servir le projet d’édification de ‘’l’Etat de droit républicain et démocratique’’.

     Paradoxalement, le texte constitutionnel souffre de l’absence de normes explicites garantissant le principe cardinal d’indépendance du juge constitutionnel dans l’exercice des compétences qui sont les siennes. Cette lacune se révélant problématique, l’exigence d’indépendance, d’impartialité et de neutralité semble trouver réponse dans le Serment que les membres de la Cour constitutionnelle doivent prêter devant le Premier Président de la Cour suprême avant leur entrée en fonction.

     La question se pose alors de savoir si la prestation de serment dans les termes prévus à l’article 186 de la Constitution, aura-t-elle, dans le contexte politique actuel, une incidence sur le comportement éthique du juge constitutionnel de façon à pouvoir exercer librement son mandat et à prendre les décisions qui s’imposent à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, en toute indépendance, sans entraves et en n’obéissant qu’à sa propre conscience ?

Key words (الكلمات المفتاحية) :

Cour constitutionnelle, constitutionnalisation, juge constitutionnel algérien, indépendance, impartialité, éthique, Etat de droit républicain et démocratique.

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 * Professeur de droit, Avocat à Annaba. Contact : www.hamidi-hamid.com

Introduction : Le remplacement du Conseil constitutionnel par une Cour constitutionnelle. Un choix politique.

           La Cour constitutionnelle est instituée pour la première fois en Algérie et figure parmi les innovations majeures de la révision constitutionnelle de 2020[1] en remplacement du Conseil constitutionnel. En effet, à l’initiative de la Présidence de la République, le comité ad hoc d’experts chargé de la rédaction du projet de révision constitutionnelle -qui n’a pourtant rien de politique puisque composé exclusivement d’universitaires [2] – a jugé utile de remplacer le Conseil constitutionnel en exercice depuis 1989 [3], par une Cour constitutionnelle pour marquer une avancée importante dans le processus de construction de l’Etat de droit, républicain et démocratique de l’après Hirak[4]. Devant servir de témoin d’une évolution en faveur du constitutionnalisme moderne et de l’Etat de droit à l’instar des pays démocratiquement avancés, le choix politique d’instituer une Cour constitutionnelle n’émane cependant pas d’une assemblée constituante, mais d’un Comité Ad Hoc[5], lequel en fait n’a fait qu’entériner le choix fixé par le Président de la République dans une ‘’lettre’’ ou feuille de route chargée de propositions tendant à remettre la Constitution algérienne à ‘’l’endroit’’, c’est-à-dire une Constitution qui marquerait de préférence la rupture avec le système politique de l’ère Abdelaziz Bouteflika[6]. Après que le projet de  Constitution soit approuvé et adopté par référendum constituant du 1er  novembre 2020, il y a forcément lieu de reconnaitre que la liberté du choix de procéder au remplacement du Conseil constitutionnel par une Cour constitutionnelle, est exercée, non pas par le Président de la République élu, mais par le Pouvoir constituant qui appartient au peuple comme il est rappelé expressément à l’article 8 de la Constitution.

           L’enjeu principal de la création d’une Cour constitutionnelle est sans doute l’édification d’un ‘’Etat de droit républicain et démocratique’’, tel qu’il résulte du Préambule de la Constitution de 2020[7]. Alors que l’Etat de droit est synonyme d’Etat républicain ou d’Etat démocratique, le Constituant algérien a préféré rajouter les caractères ‘’républicain’’ et ‘’démocratique’’ à ‘’l’Etat de droit’’ comme pour signaler que la notion d’Etat de droit n’est pas conjoncturelle et ne peut être appréciée dans le contexte politique actuel simplement comme un Etat légal, mais comme un Etat de droit dans le cadre duquel les libertés démocratiques du citoyen sont garanties. Dans ce contexte, la finalité de l’Etat de droit ne s’étend pas simplement à la consécration de la primauté du droit, mais s’étend aussi et plus solennellement encore à la consécration des principes de justice sociale, d’égalité et de liberté de chacun et de tous.

           Par ailleurs, on comprend par l’attribution de compétences larges à la Cour constitutionnelle dans le projet d’édification de l’Etat de droit républicain et démocratique, que l’objectif est d’arriver à asseoir la ‘’démocratie par le droit’’, et en urgence répondre à l’exigence de stabilité de l’ordre politique de l’Etat[8]. Pour répondre à ces exigences et contribuer efficacement à ce projet démocratique, il est important, nous semble t-il, que l’indépendance de la Cour constitutionnelle par rapport aux autres organes constitutionnels soit clairement affirmée dans le texte constitutionnel, et que l’indépendance, l’impartialité et la neutralité du juge constitutionnel appelé à exercer dans la transparence les fonctions qui sont les siennes, soient tout aussi clairement garanties. L’indépendance de la Cour constitutionnelle doit se refléter dans celle de ses membres. Cependant, le positionnement du constituant tel qu’il apparait dans le texte constitutionnel version  2020  est  problématique  :  s’il  a  reconnu formellement,  à l’article 185 de la Constitution, l’indépendance de la Cour constitutionnelle d’un point de vue externe, c’est-à-dire une indépendance organique et institutionnelle, il ne s’est pas senti redevable, pour des raisons de clarté sans doute, d’édicter des règles explicites tendant à garantir l’indépendance des membres de la Cour constitutionnelle dans l’exercice de leur fonction comme c’est pourtant le cas pour les juges de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif[9]. Considérant la lettre de la Constitution, aucun dispositif constitutionnel de garantie de la protection de l’indépendance du juge constitutionnel n’y est prévu.

      Sans être inédite, une telle situation est problématique compte tenu des nouvelles réformes institutionnelles imposées en matière d’organisation et de séparation des pouvoirs. Il faut remarquer en effet que le constituant a dérogé d’une part, au principe démocratique de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs en instituant quatre pouvoirs au lieu de trois, et en mettant fin au bicéphalisme du pouvoir exécutif à la tête de l’Etat. D’autre part, l’ordonnancement constitutionnel classique étant chamboulé par le fait que le Président de la République s’est vu placer au-dessus des autres pouvoirs, exécutif (Gouvernement), législatif (Parlement) et judiciaire (Justice) [10]. Dans ce contexte, comment en effet, envisager l’indépendance de la Cour constitutionnelle à l’égard du Président de la République compte tenu de son nouveau statut politique suprême[11], des prérogatives illimitées que lui a déjà conféré la Charte pour la paix et la réconciliation nationale[12], et plus généralement encore, de l’autorité dont il est investit par son pouvoir de désignation et de nomination des hauts fonctionnaires à la tête de toutes les institutions constitutionnelles y compris bien sur de la Cour constitutionnelle.   

         Il est important de tenir compte du  contexte politique de la nouvelle Constitution de l’après Hirak, c’est-à-dire de l’écart existant entre la pratique et la lettre de la Constitution, pour comprendre que, en optant pour le choix de créer une Cour constitutionnelle,  le constituant  a voulu, certes,  l’imposer comme juridiction constitutionnelle indépendante dans le but de servir l’idée d’Etat de droit,  mais dans l’immédiat, servir d’instrument au Pouvoir contraint d’opérer une métamorphose dans ses méthodes de gestion à la faveur d’une nouvelle transition démocratique. En fait, tout dépendra de la loyauté des membres de la Cour constitutionnelle envers leur institution. Alors qu’ils ne sont pas appelés à faire de la politique, les membres de la Cour constitutionnelle pourront-ils exercer, dans la pratique, leurs compétences en toute liberté et indépendance ? Le comportement éthique de chacun d’eux, pourra t-il les mettre à l’abri de toute ingérence et instruction, tout en étant capables, par eux-mêmes, d’assurer une crédibilité et une intégrité suffisante à leurs décisions ?

           Nous n’avons pas la prétention de répondre de manière appropriée et dans les détails aux questionnements soulevés. Nous tenterons simplement ici de focaliser l’attention sur l’essentiel et montrer que si, en effet, le principe d’indépendance de la Cour constitutionnelle est consacré comme principe cardinal par le constituant dans le cadre du projet d’édification de ‘’l’Etat de droit républicain et démocratique’’ (Première partie.-), il reste que l’application du principe d’indépendance, sa mise en œuvre relève de obligation éthique et morale du juge constitutionnel. C’est de cette façon que nous suggérons d’interpréter l’absence de normes constitutionnelles explicites et formelles garantissant la protection de l’indépendance des membres de la Cour constitutionnelle dans l’exercice de leur fonction (Deuxième partie.-).  

L’article dans son entier fera l’objet d’une publication dans la Revue de l’ordre des avocats / Région Annaba (Rev. à paraitre) 


[1] Voir JORA n° 82 du 30 décembre 2020 comprenant le Décret de promulgation de la révision constitutionnelle, adoptée par référendum du 1er novembre 2020.

[2]  Le comité ad hoc d’experts a été installé officiellement le mardi 14 janvier 2020 dans la perspective d’élaborer une nouvelle mouture de constitution que les exigences du moment ont imposé (l’Algérie de l’après Hirak du 22 février 2019).  

[3] Voir la Constitution-loi adoptée par référendum du 23 février 1989 (JORA n° 09 du 1er mars 1989). Il faut rappeler que la première constitution de 1963 a institué un Conseil constitutionnel qui n’a jamais fonctionné. Constitution de 1963  in JORA n° 64 du 10 septembre 1963. 

[4]  Par Hirak, il est visé les manifestations populaires du 22 février 2019. En son temps, le Hirak se voulait être une réaction populaire pacifique contre le système politique en place depuis l’indépendance en 1962.

[5] Il s’agit d’un comité qui n’a rien de collégial  puisque composé dans sa totalité d’universitaires de haut rang (des professeurs de droit constitutionnel), tous choisis discrétionnairement par le Président de la République. 

[6] En dehors de cette période charnière de la vie politique de l’Etat, les Constitutions précédentes se sont toutes distinguées par leur finalité anormalement inversée en favorisant une démocratie renouvelée mais toujours sans le peuple.

[7]  Il est rappelé dans le préambule de la Constitution de 2020 que ‘’(…) le peuple entend, par cette Constitution, se doter d’institutions (…) qui réalisent la justice sociale, l’égalité et la liberté (…) dans le cadre d’un Etat de droit républicain et démocratique (…)’’.

[8] La stabilité politique voudrait à ce que la problématique de la légitimité du pouvoir politique ne soit pas débattue en dehors des lieux habituels et officiels d’exercice de la démocratie.  

[9] Cf. le Chapitre 4 ‘’De la justice’’, en particulier les Art. 163, 172 et 180 de la Constitution.  

[10] Cf. le Titre III de la Constitution intitulé ‘’De l’organisation et de la séparation des pouvoirs’’.  

[11]L’amendement constitutionnel de 2020 fait du Président de la République une institution supérieure, une institution à part, en l’exfiltrant de toute responsabilité. Il s’agit là d’une séparation inédite des pouvoirs.

[12] Ordonnance n° 06-01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, JORA n° 11 du 28 février 2006.