SÉMINAIRE BEJAÎA 2012 LA LOI ALGÉRIENNE ET L’ARBITRAGE COMMERCIAL

 

SÉMINAIRE BEJAÎA 2012

LA LOI ALGÉRIENNE ET L’ARBITRAGE COMMERCIAL INTERNATIONAL

 

LE DROIT D’ACCES A LA JUSTICE ARBITRALE EST-IL GARANTI ?

 

/  Professeur Hamid HAMIDI

Faculté de droit et de sciences politiques, Université Badji Mokhtar, Annaba (Algérie) Courriel : [email protected]

PLAN :

RESUME / ABSTRACT

I. – Introduction : Problématique du recours à l’arbitrage commercial international en relation avec le droit d’accès à la justice arbitrale

II. – Institutionnalisation de l’arbitrage et mimétisme juridique

III. – L’arbitrage en relation avec la problématique du développement

IV. – Procès arbitral et droit de pouvoir se défendre.

 

RESUME / ABSTRACT

Suite au différend entre la société algérienne Sonatrach et la société espagnole Gaz Natural sur le réajustement des tarifs du gaz et autres problèmes liés à sa commercialisation, et après l’échec de la diplomatie économique, l’Etat algérien, pour permettre à Sonatrach de recouvrer ses droits, n’a pas d’autre choix que celui de recourir à l’arbitrage international conformément aux dispositions contractuelles liant les deux parties (1). L’arbitrage international est ainsi présenté non seulement comme étant le moyen efficace de traiter cette affaire, mais aussi et surtout comme étant le modèle devant permettre à Sonatrach d’accéder finalement à la justice et recouvrer ses droits.

Mais ce qui est valable pour la société nationale des hydrocarbures Sonatrach mondialement connue et bénéficiant d’une riche expérience est-il tout aussi valable pour le reste des entreprises et autres opérateurs économiques nationaux ?

Qu’en sera-t-il particulièrement de la défense des intérêts de la personne publique engagée dans un marché public avec un partenaire étranger cocontractant dans le cadre de l’exécution de la dépense publique, sachant que le législateur, à travers le nouveau Code de procédure civile et administrative, « oblige » la partie algérienne en cas de conflits de s’en remettre à ce mode privé de règlement des litiges qu’est l’arbitrage commercial international sans se soucier outre mesure de la question du droit d’accès à la justice arbitrale.

 

Introduction :

Problématique du recours à l’arbitrage commercial international en relation avec le droit d’accès
à la justice arbitrale

1. –  La question mérite d’être posée car en effet aujourd’hui la mondialisation, par tout ce qu’elle implique comme respect des règles d’organisation et de fonctionnement de l’économie mondiale, oblige les partenaires concernés par le secteur des affaires à faire référence à l’arbitrage comme mode  normal de règlement des litiges commerciaux pour s’assurer la garantie d’un procès contradictoire, transparent et équitable. Dans les pays en développement en général et l’Algérie en particulier, la préférence pour la justice privée a gagné sérieusement du terrain pour avoir été imposée par le législateur dont la volonté s’est exprimée clairement dans de nombreux textes législatifs, et relayée par les juristes d’affaires étrangers et locaux, lesquels en se fondant sur leur expérience, tentent de convaincre les dirigeants et managers d’entreprises locales sur l’impartialité du juge arbitral et sur les avantages qu’est censé procurer le procès arbitral comme l’efficacité, la célérité, l’équité, la transparence et la confidentialité.

L’intérêt accordé par le législateur algérien à la procédure de règlement des litiges par recours à l’arbitrage international mérite ici d’être souligné. En effet, dans le cadre du processus en cours des réformes économiques et des réformes du cadre juridique correspondant (2), le Code de procédure civile de 1966 (3) a été sérieusement amendé puisqu’on est passé du texte ancien dans lequel il était clairement affirmé que « l’Etat et les personnes morales publiques ne peuvent pas compromettre » (article 442 al. 3 du CPC ancien texte) au texte nouveau de 1993 (Décret législatif n° 93-09) où il y est tout aussi clairement affirmé que « l’Etat et les personnes morales de droit public ne peuvent pas compromettre, sauf dans leurs relations commerciales internationales » ( article 442 du CPC). La nouveauté est que la voie de l’arbitrage international est désormais grande ouverte non pas seulement aux entreprises privées et aux entreprises publiques économiques érigées en la forme de sociétés commerciales (EPE/SPA), mais également aux personnes morales de droit  public dans leurs relations économiques internationales.

Dans ce contexte, l’évolution juridique ne semble pas s’arrêter là puisqu’il sera consacré également la reconnaissance expresse de l’arbitrabilité des marchés publics conclus avec des sociétés étrangères dont les litiges seront jugés par un juge privé à la place des juridictions étatiques normalement compétentes. C’est ce qui ressort du projet de Code de procédure  civile  et  administrative  (CPCA  nouveau  texte  de  Décembre  2006)  qui consacre plus de cinquante articles (articles 1005 à 1060) en faveur de la promotion de l’arbitrage interne et international en Algérie.

Il faut sans doute préciser que ces efforts d’adaptation et de mise en conformité de la législation nationale avec les conventions internationales sont l’expression de la volonté politique pour le maintien de la domination au sein de l’Etat, et que la tendance à vouloir faire de l’activité arbitrale une réalité en Algérie dont l’aboutissement est l’institution de la Chambre Algérienne de Médiation et d’Arbitrage (CAMA) au sein de la Chambre Algérienne du Commerce et de l’Industrie (CACI) en 2005 n’a en réalité qu’une seule finalité : la généralisation de l’arbitrabilité des litiges c’est-à-dire en somme la levée du monopole de l’Etat sur la justice dans un contexte marqué par la non prise de conscience du problème du risque qu’engendrerait l’adhésion à l’arbitrage international.

 

Institutionnalisation de l’arbitrage et mimétisme juridique

2. –  Ce ne sont pas simplement les différends entre les investisseurs étrangers et l’Etat algérien qui seront réglés systématiquement par le recours à l’arbitrage international. En effet, l’exemple du droit algérien des investissements est en ce sens particulièrement éloquent puisqu’il prône une double garantie à la faveur du partenaire étranger : une garantie d’arbitrabilité des litiges potentiels et une garantie de protection des investisseurs étrangers.

Ce premier type de garantie est clairement mentionné dans le texte de loi portant Code des investissements (4); pour le second type de garantie de protection des intérêts de l’investisseur étranger, il est quant à lui assuré grâce aux ratifications par l’Algérie d’un certain nombre de conventions bilatérales de protection réciproque et d’encouragement des investissements et de textes internationaux comme par exemple la Convention de New York du 10 Juin 1958 sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères qui ont d’ailleurs une valeur juridique supérieure à la loi nationale (5).

Il est parfaitement clair également que les réformes économiques engagées par l’Etat algérien en 1988 et celles de 1993 ont eu un impact important sur la législation algérienne  qui  a  rendu  la  procédure  d’arbitrage  international  opposable  à  tous  les acteurs actifs dans la sphère de l’économie et particulièrement à ceux qui ont en charge le développement du secteur économique public. L’institutionnalisation de l’arbitrage nous oblige ainsi à poser la question de savoir si le législateur algérien n’en a pas fait trop en généralisant la procédure d’arbitrage  aux personnes  morales  de  droit  public  dans leurs  relations  économiques internationales. En tout cas, la question se pose si l’on admet la  triste  réalité  que  les  réformes  économiques  et  celles  de  l’entreprise  publique économique n’ont pas atteint les résultats attendus. De plus, par son option, le législateur algérien n’a-t-il pas dépassé les pouvoirs que la Constitution lui reconnaît en décidant de soustraire les litiges aux juridictions nationales de droit commun et administratives pour être résolus par voie d’arbitrage « ad hoc » ou institutionnel, ce qui s’apparente à une remise en cause de la souveraineté des institutions constitutionnelles. Il nous paraît ainsi très clairement que la volonté affirmée de lever le monopole de l’Etat sur la justice relève beaucoup plus du politique que du simple technique car l’option pour le développement de la justice privée pour sécuriser le monde des affaires aurait pu s’accommoder parfaitement avec l’existence d’une justice étatique, laquelle d’ailleurs sera sollicitée à l’occasion de l’exécution de la sentence arbitrale et la demande d’exequatur.

A défaut d’un contrôle par le Conseil constitutionnel de la constitutionnalisation des lois en question, il n’en demeure pas moins évident qu’il s’agit là d’un volontarisme juridique qui ignore totalement la réalité interne de l’entreprise algérienne et la réalité du contexte politique, économique et social dans lequel elle évolue. Le juridique étant au service du politique et les textes législatifs ne sont en fait que la traduction des préoccupations  politiques  des  dirigeants.  Le  droit  algérien  de  l’arbitrage  est  ainsi fortement politisé. On ne peut trouver d’autres justifications à la politisation du droit et à ce volontarisme juridique de la loi – pourtant d’une période totalement révolue du socialisme – que celle qui consiste à dire que ces textes juridiques ont permis à l’Etat algérien au plan juridique et politique de réussir sa mutation au plan international (6), car sinon comment expliquer cet alignement sans réserves sur le standard international au plan juridique et cet engouement à vouloir à tout prix sécuriser les intérêts des sociétés étrangères au plan économique. Certains diront qu’il s’agit là de concessions que les exigences du moment ont imposé.

D’autres soutiendront que c’est là une façon pour l’Algérie d’entrer dans la normalité que de convier aussi bien l’Etat que ses intermédiaires et autres opérateurs économiques nationaux quelque soit leur statut juridique dès lors qu’ils sont impliqués dans des litiges relatifs à des intérêts du commerce international, d’accepter ce mode de règlement des différends et de faire en sorte à ce que, désormais, leurs litiges potentiels soient jugés systématiquement par un arbitre unique ou un tribunal arbitral indépendant, neutre et compétent chargé de faire valoir le droit sur toute autre considération, plutôt que de soumettre ces mêmes litiges aux tribunaux étatiques.

Un tel positionnement a sans doute le mérite d’évacuer des débats et des préoccupations les conséquences pour l’entreprise qu’engendrerait le recours au droit de l’arbitrage comme «droit en procès».

C’est pratiquement l’institutionnalisation de l’arbitrage forcé qui se dessine ici alors que par ailleurs l’arbitrage -parce que volontaire et contractuel- est seulement l’affaire des parties  contractantes.   De ce point de vue,  le législateur en  ne respectant  pas  le principe  sacré  de  l’autonomie  de  la  volonté,     apporte  ainsi,  nous  semble  t-il,  le témoignage du peu de crédibilité des décisions rendues par les tribunaux étatiques, soit parce qu’en Algérie les juridictions économiques et les juges spécialisés devant appliquer le droit des affaires font défaut, soit parce que l’indépendance de la justice n’est pas encore une réalité tangible. Ce qui est certain par contre, c’est que le législateur algérien, en imposant la procédure d’arbitrage importée « clé en mains »,    ne nous dit pas si, à l’occasion d’un procès arbitral, la partie algérienne pourra accéder à la justice par le fait réel qu’elle soit mise devant un handicap discriminant par le poids de l’environnement dans lequel elle évolue.

 

L’arbitrage en relation avec la problématique du développement

3. –   Vrai ou faux problème, toujours est-il que le législateur algérien, en s’orientant dans cette voie et en faisant de l’arbitrage une contrainte interne, n’avait pas franchement également pour souci d’organiser le passage à l’économie de marché. Il apparaît en effet clairement, au regard de la problématique du développement, que la référence à l’arbitrage international n’est en fait imposée que par simple obligation de se conformer au système juridique libéral et par mimétisme plutôt que par souci de sécuriser l’entreprise algérienne qui n’a pas pu encore accéder au stade d’opérateur du commerce international ou encore par souci de sécuriser le secteur économique de production qui n’existe pas.

En effet, le système de l’arbitrage international est intégré en Algérie dans un contexte où la nécessité économique pouvant justifier le recours à l’arbitrage commercial international fait défaut.

On parle alors d’arbitrage devant supplanter les tribunaux publics nationaux dans un contexte dit d’économie de rente dans lequel, paradoxalement, les entreprises privées locales (entreprises familiales) érigées pour la plupart d’entre elles en la forme de sociétés de personnes, ne se sentent en aucune manière concernées par l’évolution des réformes du cadre juridique en cours dans notre pays et dans le monde et encore moins par l’arbitrage international. Parce que le privé algérien étant beaucoup plus importateur qu’exportateur, les litiges que ses décisions auront engendrés ne sont pas arbitrables. Même l’arbitrage interne ou local pourtant institué par le Code de procédure civile depuis 1966 n’a toujours pas été utilisé par le privé.

Ce qui veut dire en d’autres termes que le pouvoir de compromettre concerne donc tout spécialement les entreprises publiques économiques et les personnes morales de droit public dans leurs relations commerciales et économiques internationales, lesquels intermédiaires de l’Etat auront sans doute beaucoup de difficultés à accéder à l’arbitrage puisque, selon le rôle et les missions qui leurs sont impartis, ils n’ont pas seulement pour objectif l’accumulation du capital et son réinvestissement, mais aussi une mission d’intérêt général (économique). Ces sujets juridiques et économiques d’un genre particulier vont devoir appliquer des droits plutôt «contradictoires» : l’obligation de se référer au droit de l’arbitrage commercial international issu des conventions internationales, alors qu’au titre du droit -étatique- de l’entreprise, ils sont au service de la nation et du développement.

Il est quand même curieux de constater à ce propos que le législateur algérien n’ait pas suffisamment tenu compte de l’harmonie interne d’un texte législatif d’une aussi grande importance que le Code de procédure civile en reconnaissant aux personnes morales  de  droit  public  la  possibilité  de  compromettre  alors  qu’en  matière  de compétence d’attribution, il continue à sacraliser le fameux critère organique de détermination de la compétence du juge administratif (7). En reproduisant la procédure d’arbitrage importée « clé en mains » applicable y compris aux litiges nés de l’exécution des marchés publics conclus avec les sociétés étrangères, le législateur algérien semble avoir agi dans la précipitation en ne prenant pas la peine d’harmoniser la législation en vigueur (le CPC) avec le Code des marchés publics (8) lequel privilégie le règlement amiable plutôt que le règlement contentieux tant il paraît (pourtant) évident que la nature privée et contractuelle de l’arbitrage international ne peuvent objectivement s’accommoder avec les finalités assignées au Code des marchés publics et encore moins avec les objectifs statutaires assignés à la personne publique dans le cadre de l’exécution de la dépense publique objet du marché.

A ce propos, il faut reconnaître que le processus normatif modifiant les dispositions du code de procédure civile relatives à l’arbitrage est critiquable pour plusieurs raisons :

D’abord, il est critiquable non pas simplement pour avoir privilégié l’arbitrage comme « droit en procès » par  effet de mimétisme, et négligé les autres modes alternatifs de règlement des litiges comme la médiation, mais aussi pour avoir élevé l’arbitrage international au rang de technologie juridique dont la possibilité de maîtrise de l’emploi du régime procédural échappe à l’entreprise publique compte tenu du retard de l’Algérie dans le domaine de l’activité arbitrale.

Il s’agit ensuite d’un texte juridique qui n’a pas fait preuve de réalisme en accordant le droit de compromettre à une entreprise qui n’a pas pu encore accéder au stade d’opérateur du commerce international, sans garantir ses droits et sans prévenir les risques pouvant mettre en cause sa pérennité.

Enfin, le législateur algérien n’a pas fait preuve d’imagination et de créativité juridique, en faisant de la technique arbitrale une solution d’avenir, et en prenant position pour que le contexte dans lequel évolue l’entreprise publique n’imprime pas ses particularités au texte juridique.

En d’autres termes, et au moyen de la privatisation de l’Etat, le législateur algérien a pu ainsi accepter et faire admettre l’idée de la remise en cause des autorités juridictionnelles nationales normalement compétentes notamment en matière de marchés publics sans que le droit algérien ne définisse par exemple le concept de marché public international, et au moyen du processus de dépolitisation du droit, le législateur algérien a fait de l’arbitrage un concept opposable à l’entreprise publique et aux personnes morales de droit public sans tenir compte de la réalité du contexte dans lequel elles évoluent, et sans pour autant leur donner l’assurance de pouvoir tirer le meilleur profit des instruments juridiques liés à l’arbitrage commercial international parce qu’elles n’ont justement pas (encore) le statut de « consommateur de justice privée »..

 

Procès arbitral et droit de pouvoir se défendre

4.  –  Replacée  dans  le  contexte  du  procès  arbitral,  l’entreprise  publique algérienne, parce qu’elle ne pourra pas se défendre seule et parce que la loi révèle son incapacité à pouvoir garantir ses droits, aura donc à affronter deux problèmes interdépendants en dernier lieu et méritent réflexion : alors que le premier problème concerne l’accès à la justice tant le « bon » choix de l’arbitre n’est pas facile à faire, le second est relatif à l’exercice par l’entreprise considérée du droit de la défense et du droit de pouvoir organiser sa défense.

 

4.1.- L’accès à la justice est fondamentalement lié au droit de pouvoir se défendre. Or l’accès à la justice par le truchement de l’arbitrage est rendu problématique pour l’entreprise algérienne parce qu’elle ne s’est pas encore affranchie des contraintes de sous-développement et les interférences politiques qu’elle subies, dans le contexte d’une économie rentière de surcroît, ne lui permettent pas de fonctionner suivant les règles de management universellement admises.

L’autre réalité est que de toute façon, l’arbitre indépendant du commerce international va s’obliger à respecter la Convention d’arbitrage applicable aux parties au litige, et ne va  pas  chercher  à  intégrer  dans  son  raisonnement  les  paramètres  extra juridiques pouvant justifier les défaillances ou manquements de l’entreprise algérienne replacé dans l’environnement politique, économique et social qui est le sien.

A ce propos, je voudrai rappeler ici un témoignage qui me paraît assez révélateur sur la difficulté à trouver le « bon » arbitre. Un avocat algérien membre du collectif de défense de la société algérienne Sonatrach active dans le domaine pétrolier en conflit avec une société étrangère devant la Chambre de Commerce International, m’a fait part de leur grande satisfaction que la partie adverse ait accepté et confirmé dans les délais que le regretté Ph. Fouchard sera bien l’arbitre désigné d’un commun accord par les parties pour trancher le différend les opposant.

Pour la défense de Sonatrach l’accès à la justice est acquis dès lors que l’arbitre désigné est non seulement quelqu’un dont la compétence,  l’indépendance et la neutralité n’ont pas besoin d’être prouvées, mais c’est aussi et surtout un arbitre qui connaît parfaitement l’environnement politique, économique et social dans lequel évolue l’entreprise et les problèmes qui y sont liés.

Et c’est après réflexion que j’ai finalement compris que l’arbitre pour pouvoir rendre une sentence arbitrale crédible doit veiller à ce que chaque partie au litige ait bien eu la possibilité d’être suffisamment comprise et entendue. Il faut reconnaître que ce n’est pas toujours le cas quand bien même il est acquis que pour juger équitablement le litige, il faut revenir forcément au contexte dans lequel l’entreprise a évolué.

 

4.2.- Le deuxième problème qui mérite réflexion est relatif à l’exercice par l’entreprise du droit de pouvoir organiser sa défense devant l’arbitre indépendant du commerce international. L’entreprise peut-elle en effet organiser convenablement et sereinement sa défense à l’occasion d’un procès arbitral ?

La  réponse  sera  forcément  négative  si  l’on  tient  compte  de  cette  première  réalité suivante : c’est que le processus d’arbitrage pour les raisons évoquées plus haut, échappe « à l’intelligence » de l’avocat algérien parce que victime d’un système de formation universitaire défaillant (9), et se retrouve de ce fait enfermer dans son activité classique de représentation et de conduite des affaires qui lui sont confiées devant les tribunaux étatiques.

L’institutionnalisation de l’arbitrage pose en effet au plan national un problème d’accès à cette  « mondialisation  des  catégories  juridiques »  (10)  conséquence  de  l’impact  des réformes économiques sur la législation algérienne aux premiers concernés que sont les managers et gestionnaires d’entreprises et un problème de qualification juridique et de spécialisation aux juristes et avocats nationaux que la législation nationale ne prend pas en charge.

La  deuxième réalité  certainement plus complexe explique toutefois la  première :  en insistant sur le caractère mythique de l’arbitrage international et la croyance qui en résulte qu’en dehors de l’arbitrage, point de justice, et  en reproduisant  la procédure d’arbitrage importée « clé en mains », la législation algérienne induit de la sorte une limitation de sa maîtrise à une élite de juristes locaux et étrangers dans un contexte de monopolisation des savoirs juridiques qui nous rappelle étrangement, dans l’Algérie des années  70,  la  monopolisation  des  savoirs  technologiques  par  l’élite  technocratique laquelle,  en  insistant  volontairement  sur  le  caractère  mythique  de  la  technologie importée et pour des raisons de pouvoir, a évité la généralisation des savoirs technologiques au reste de la population. Le développement national a pour cette raison été toujours retardé et l’entreprise algérienne reste à ce jour confrontée au cercle vicieux du déficit en compétences.

 

NOTES DE RENVOI :

(1) Voir le quotidien national El Watan, du 06/05/2007, p. 5 ;

(2) Les réformes économiques et les réformes du cadre juridique correspondant ont commencé en 1988 avec l’octroi de l’autonomie à l’entreprise publique économique érigée en la forme de société commerciale (-SPA) la loi n° 88-01 du 12 Janvier 1988 portant loi d’orientation sur les entreprises publiques économiques, et en 1989 avec l’adoption de la Constitution libérale du 23 Février 1989 qui a mis fin définitivement à l’idéologie socialiste et à la notion d’Etat socialiste prônées par la Constitution du 22 Novembre 1976. A partir de 1993,  les  réformes  se  sont  accélérées  pour  tenter  de  rendre  crédible  les  mécanismes d’économie  de  marché  (mais  sans  succès)  dans  une  économie  algérienne  largement marquée par la rente pétrolière ;

(3) Le Code de Procédure Civile de 1966 (Ord. n°66-154 du 08/06/1966) a été amendé en profondeur en 1993 (Décret législatif n° 93-09). Le CPC amendé en 1993 accepte en effet de soustraire aussi bien les litiges nés de l’interprétation et de l’exécution du contrat commercial interne ou international que ceux nés de l’exécution des marchés publics à la compétence des juridictions étatiques pour être soumis à une juridiction arbitrale composée d’arbitres indépendants ;

(4) Voir Décret législatif du 5 Octobre 1993 ;

(5) Article 132 de la Constitution du 28 Novembre 1996 en vigueur dispose que « les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi » ;

(6) Voir article de F. Ben Belkacem : « Les modes alternatifs de règlement des litiges : Une solution d’avenir pour l’Algérie ? », in Revue « la Lettre Juridique », n° 36, Déc. 2004, p. 15 ;

(7) Voir Article 7 du CPC ;

(8) Cf. le Code portant réglementation des marchés publics de 2002 (Décret présidentiel n°02-250 du 24 Juillet 2002 complété par le Décret présidentiel n° 03-301 du 11 Sept. 2003) ;

(9) Il faut sans doute rappeler très clairement ici que les programmes d’enseignement universitaire  au  double  niveau  de  la  graduation  (licence)  et  de  la  post-graduation (magister) n’ont toujours pas été revus pour tenir compte finalement de l’émergence de nouvelles branches du droit, support de l’économie de marché ;

(10) L’expression est de L. Boy : « Réflexions sur « le droit de la régulation », D.2001, p. 3033, cité par R. Zouaïmia, «Les autorités administratives indépendantes et la régulation économique en Algérie », Ed. Houma, Alger, 2005.

 

 

 

Professeur Hamid HAMIDI